Frédéric ROCHET accompagne des personnes et des groupes qui ont des décisions à prendre. Il est consultant pour l’IDP (l’institut du discernement professionnel). Il a notamment écrit plusieurs articles dans les Echos sur la question du sens dans les entreprises. On retrouve par ailleurs Frédéric Rochet sur la notion de sens, cette fois à titre plus individuel, dans sa fonction de direction d’un centre spirituel dans le nord de la France.
Frédéric, la notion de discernement, même si on en a tous entendu parler, mérite quelques éclaircissements. Comment la définir ?
Le mot discernement nous renvoie tout naturellement à l’idée de décision. Décider c’est trancher, au sens de retenir une option parmi toutes celles qui s’offrent à nous ou encore, de choisir une ligne de conduite au détriment d’autres.
Etymologiquement, discerner signifie à la fois mettre à l’épreuve, examiner, estimer, soupeser mais également trier, séparer, choisir et cela grâce au travail discursif de la connaissance et du jugement. Le discernement peut être comparé à l’image de la balance. De quel côté va-t-elle pencher ? Dans la Bible, le discernement apparaît comme un des dons les plus précieux que Dieu fait à l’homme…ou pas. Discerner ne va pas de soi, discerner est un art en tant que manière de faire. Paul C Nutt (*1) a démontré que 50% des décisions prises en entreprise aboutissent à un échec pour des raisons notamment liées aux personnes (jugements, appréciations, impulsions, passions) et à la manière dont nous nous y prenons pour prendre des décisions.
50% des décisions prises en entreprise aboutissent à un échec
Fonder ses choix professionnels sur la pratique du discernement est une façon d’éviter les pièges des méthodes habituelles de prise de décision et ceux d’une subjectivité non contrôlée. L’approche par le discernement qui a été formalisée par Bernard Bougon et Laurent Falque (*2) offre des réponses satisfaisantes à trois questions essentielles quand je suis face à une décision : Comment dois-je m’y prendre ? Au nom de quoi vais-je prendre ma décision ? Que dois-je prendre en compte ?
- Comment je dois m’y prendre ?
L’approche par le discernement offre un cadre et un cheminement qui permet de vérifier que la question du choix est bien posée , que j’ai retrouvé mon libre-arbitre et que je suis capable d’examiner les options avec la même sympathie, que je vis une vraie délibération qui va me permettre de manifester une préférence claire pour une option ou pour une autre.
- Au nom de quoi ?
Le travail de discernement va également porter sur le choix d’une finalité, pour moi même ou pour mon entreprise, qui va agir comme un point stable qui me guidera dans mon choix. Je retiendrai au final l’option qui contribuera davantage à la réalisation de ma finalité. Par finalité, nous entendons le désir de contribuer à quelque chose qui dépasse mes intérêts personnels ou ceux de l’entreprise.
- Que dois-je prendre en compte ?
Si la prise en compte des données objectives a évidemment toute sa place, la subjectivité doit également être prise en compte et « contrôlée ». Pour cela, le travail de discernement doit également porter sur la valeur à accorder aux événements, mais aussi et surtout sur l’origine des pensées qui nous traversent : les événements ont des significations différentes au regard d’une finalité professionnelle. Les pensées sont « fiables ou rusées » au regard de la finalité professionnelle. Certaines idées proviennent de la volonté de contribuer toujours plus à la finalité, d’autres suggestions intérieures nous invitent à préférer la satisfaction du court terme et le plaisir immédiat de l’action facile. Le discernement des pensées consiste à rechercher en soi une réponse intérieure, non déterminée a priori. Cela se traduira dans la manière dont je suis affecté (au sens d’affectivité) : certaines pensées qui me traversent me dynamisent ou au contraire me troublent, m’incitent à me replier sur moi-même. Elles me confirment ou au contraire m’avertissent du chemin que je dois prendre.
En quoi le discernement et la recherche de sens dans les entreprises, dont vous parlez dans vos articles, sont liés ?
La finalité est le désir de contribuer à quelque chose qui dépasse ses propres intérêts. Pour une organisation, cette contribution doit s’avérer utile pour les « communautés », en répondant à des besoins sociaux réels et avoir un réel impact social, environnemental et sociétal. La finalité d’une organisation est sa raison d’être : pourquoi notre entreprise existe ? En quoi est-elle unique ? En quoi sa contribution est-elle unique ? Pour qui ? A quoi servons nous ? A quels besoins sociaux répondons-nous ? Pour traduire cette finalité en mots, les organisations sont encouragées à formuler un grand et audacieux objectif (Mission statement) capable d’offrir un attrait émotionnel puissant, de donner du sens au travail, d’articuler les objectifs de l’organisation avec les valeurs et aspirations profondes des collaborateurs.
formuler un grand et audacieux objectif […] donner du sens au travail
Les finalités retenues par certaines entreprises leur permettent de relier directement leur action au bien commun, et donc de donner à leur travail une réelle légitimité politique et morale (Google: “organize the world’s information and make it universally accessible and useful.” Danone: “Bringing health through food to as many people as possible”).
Certaines entreprises parviennent à prendre conscience qu’elles ne sont pas leur propre fin mais qu’elles sont au service d’un intérêt général qui la dépasse. Le choix d’une finalité (ou autrement dit le choix des mots qui entreront dans la rédaction du Mission statement) est indissociable du sens que l’entreprise a de sa situation et de sa responsabilité dans le monde –de surcroît en crise.
Concrètement, quel sera l’avantage d’une entreprise qui met la recherche de sens au cœur de ses priorités ?
La perte de sens s’est imposée comme une des questions essentielles auxquelles sont confrontées les entreprises. La capacité à donner un sens à l’action pourrait être une des clés pour trouver ou retrouver efficacité et performance, mais également pour comprendre l’adaptabilité et la longévité des entreprises.
le sens, une clé pour trouver ou retrouver efficacité et performance
Pour Michael Porter, il s’agit de la prochaine frontière compétitive pour les entreprises. « Business at its best: innovating to meet society’s needs and build a profitable enterprise. Achieving those twin goals represents the next competitive frontier for companies. »
De nombreux articles publiés ces derniers mois insistent sur le plaisir et le bien-être au travail. Mais, ce qui est le premier selon moi, c’est le sens. Le sens donné à l’action constitue le fondement de l’implication des individus dans l’organisation. L’action ne vaut que par le sens qu’on lui donne, comme l’a démontré Vicktor Frankl : « Des hommes sont prêts pour accomplir une tâche pourvue de sens, à consentir à des renoncements, voire, s’il le faut, à laisser tels besoins insatisfaits. Dans la recherche du sens, le bien-être physique et moral joue un rôle secondaire. Rien par contre ne compense une déconvenue dans la recherche du sens. » (*3). Un travail qui a du sens ne protège pas de la difficulté, voire d’une certaine souffrance. Par contre, seul le sens donne une vraie raison d’être et de travailler.
L’entreprise de demain sera plus que jamais « hybride » : économiquement viable ou rentable et porteuse de sens.
Si vous deviez donner un conseil à une équipe qui souhaite progresser dans son approche du discernement :
Améliorer la capacité de discernement d’une équipe passe nécessairement par l’amélioration des capacités de discernement de chaque membre de l’équipe. Le discernement collectif prend appui sur le discernement personnel mené par chaque membre de l’équipe. Le discernement collectif ne peut faire l’économie des discernements individuels de chacun. Responsabilité collective et responsabilités individuelles sont étroitement liées. Face à une décision, il convient de permettre à chacun de vivre le discernement pour lui-même…jusqu’au bout.
Chacun doit vivre la même expérience et notamment celle qui nous confronte à notre libre-arbitre. Ensuite, fort de ces discernements individuels, chacun doit pouvoir contribuer à part égale au travail de discernement collectif …
L’approche par le discernement est un sujet sérieux qui touche aux valeurs et aux sensibilités profondes. Nous nous intéressons à cette question de façon ludique et plus légère lors de nos team building, par l’apprentissage expérientiel, qui traitent de la prise de décision.
Vous nous suivez ?
Je vous suis ! Voyons comment votre expérience peut enrichir, renouveler nos propres pédagogies et exercices !
Merci Frédéric pour ces éclaircissements ! J’espère que cet article fera sens autant pour nos lecteurs que pour nous :-)
*1 : Paul C Nutt – Why Decisions Fail: Avoiding the Blunders and Traps That Lead to Debacles
*2 : Laurent Falque, Bernard Bougon – Pratiques de la décision : Développer ses capacités de discernement – Dunod
*3 : Elisabeth Lukas – La logothérapie : Théorie et pratique – Pierre Tequi
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Avec une expérience du team building franco-britannique, Priscilla partage le fruit de ses réflexions sur la performance en équipe et les relations humaines..
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Dernière arrivée chez One to Team, Emeline apporte un œil neuf et une expérience de l’animation qui vient tout droit du Canada.
Alexandre Eber
En « pro » de l’impro, Alexandre sait mettre son dynamisme et son sens de l’organisation au service des activités team building et des participants.
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